Œuvrant depuis plus de 30 ans dans le secteur des établissements de soins publics et privés, d’abord comme consultant dans un grand cabinet, Accenture, puis comme Directeur de la Performance du leader européen de l’hospitalisation privée, le Groupe Ramsay & Générale de Santé, en ayant aussi effectué de nombreuses missions de conseil en tant que consultant indépendant, j’ai pu mesurer le potentiel d’amélioration gigantesque de l’efficience des moyens engagés, tout en améliorant la qualité des soins et la qualité de vie au travail des agents hospitaliers.
Le sujet est complexe et vaste, je me restreindrai au seul domaine du surcoût de la strate administrative, hors personnels soignants.
Même s’il y a beaucoup de choses à dire sur une meilleure organisation des soins à l’échelle d’un hôpital (atténuant de fait le problème du déficit du personnel soignant) ou d’un territoire de santé où une meilleure complémentarité de l’offre et une plus grande synergie avec la ville serait porteuses de progrès significatifs, à commencer par la qualité de soins au patient.
Rappelons quelques enjeux : les personnels administratifs, techniques et agents de service (hors soignants) représentent dans les hôpitaux publics environ 1/3 de l’effectif et plus de 25% du total de la masse salariale qui fait plus de 70% du budget de fonctionnement des hôpitaux, soit près de 20% !
Nous parlons donc d’un ordre de grandeur de 20 Md€ ! et je ne prends pas en compte les fonctionnaires et contractuels du Ministère et des nombreuses agences gravitant dans le secteur (ARS, ANAP, HAS,…..).
Dans des grandes cliniques bien gérées dont certaines sont comparables en taille à des centres hospitaliers conséquents, la proportion des frais du personnel non soignant est de 10 points de moins, soit rarement plus de 15%. Bien entendu, on va me rétorquer que les missions dans le public sont plus complexes, que le bâti est plus contraint, que la sous-traitance pour des fonctions périphériques (restauration, nettoyage, blanchisserie, gardiennage, maintenance des bâtiments…) est moindre dans le public. Mais ceci n’explique pas cet écart.
Autre comparaison qui fait mal, en Allemagne, les frais du personnel non soignant sont 2 fois moins élevés en proportion qu’en France et on ne va pas me dire que les hôpitaux allemands sont sous-administrés ou qu’ils tombent en ruine !
Il y a donc un léger souci.
A titre anecdotique, j’ai réalisé au début des années 2000 un audit sur la logistique de l’APHP. Il y avait à l’époque plus de 100 entrepôts (hors circuit du médicament) pour 40 établissements. J’ai proposé 3 scénarios, dont un qui massifiait tous les circuits fournisseurs sur un seul entrepôt qui devait ensuite délivrer l’ensemble des 1000 services de l’AP avec une plus grande qualité et homogénéité de service. Pour rappel, le groupe Carrefour pour des flux logistiques supérieurs n’a qu’un seul entrepôt pour l’ensemble de ses magasins en Ile de France.
Le bilan économique présentait dès la 3ème année un gain net de 15M€, soit 25% du déficit constaté de l’APHP dans ces années. Bien sûr, ce scénario ne se faisait pas sans redéployer environ 400 magasiniers sur un effectif de 700 …., mais pour un Etablissement employant plus de 100 000 agents et qui avait déjà en grande partie sous traitée sa blanchisserie et sa restauration, cela pouvait se gérer sans trop de difficulté sociale en 3 ans. Le Directeur de l’époque, m’a répondu que c’était intéressant, mais, craignant les syndicats, il y voyait plus d’inconvénients que d’avantages dans sa volonté de terminer une carrière apaisée…… Bref, l’APHP n’a même pas lancé un pilote pour tester l’opportunité d’améliorer sa logistique.
Petite incidence, si à l’Ecole Nationale de la Santé Publique et au Ministère, on introduisait, pour les Directeurs d’Hôpitaux, le principe d’une strate de rémunération au prorata du nombre de projets de réorganisation lancés (et même pas réussis !), les responsables hospitaliers seraient incités à plus de courage. Ceci pouvant se généraliser à l’ensemble des catégories A des fonctionnaires pour insuffler une dynamique de changement dont le secteur public a bien besoin ….
Alors, quelles solutions doivent être apportées pour réduire les frais de personnels non soignants ?
Sans dresser tout l’inventaire, de nombreux leviers existent :
- Réduction drastique de la complexité administrative imposée par le Ministère, les ARS, les DRASS, et autres Institutions …. : le nombre de décrets, arrêtés divers, création ou changement de normes, de procédures… est absolument effrayant et implique un travail de mise à jour, de contrôle d’application avec très peu de valeur ajouté pour la mission principale de l’hôpital : soigner !
- Appel, après benchmarking, à plus de sous-traitance de prestataires spécialisés dans les fonctions périphériques : nettoyage, restauration, blanchisserie, gardiennage, logistique, maintenance et même hébergement hôtelier !. Bien entendu, le bilan économique externalisation vs internalisation et la qualité de service doivent guider les choix du décideur.
- Digitalisation accrue de certaines fonctions s’y prêtant et apport de l’IA (préadmission du patient, prise de RDV, facturation, recouvrement, achats, recrutement, évaluation et globalement toute la gestion administrative du personnel,….).
- Mutualisation accrue entre hôpitaux sur une région & bassin sanitaire (notamment de taille intermédiaire) de certaines fonctions back office.
- Coopération renforcée entre le public et le privé dépassant les guerres de religion et alignement sur le premier tiers des établissements les plus performants, puis diffusion des bonnes pratiques.
Il est vrai que certains responsables hospitaliers ont actionné certains de ces leviers et sous l’égide de l’Agence Nationale d’Appui à la Performance (ANAP), notamment, des progrès ont été réalisés. Mais que de freins au changement subsistent !. Ce secteur souffre d’une inertie prodigieuse et malgré des déficits importants (encore plus de 3Md€ en 2024 rien que pour les CHU), sans parler de la crise affectant le personnel soignant, Il est plus que temps dans ce contexte de dette publique abyssale de changer de paradigme.
Stéphane Vivet
Expert de la performance des établissements de soins
Bravo Stéphane. Excellent papier sur la réduction des depnses dans l’administration hospitalière. On va s’en servir. N’hésitez pas à contribuer encore . Merci Pierre Gattaz